Denise le Dantec, ENHEDUANNA, La femme qui mange les mots, Atelier de l’agneau éditeur, Collection cordelle, 2021, Avec des dessins de Liliane Giraudon.
Dans cet ouvrage insolite, Denise le Dantec convoque les spectres de Enheduanna, la mésopotamienne, première écrivaine de l’humanité et de son amoureuse princesse Ishta. Le verbe se fragmente dès le commencement du livre, s’ouvrant à l’accueil de ces amours entre deux femmes. La ponctuation incise une parole jalonnée de parenthèses, de traits biseautés (slashs). Les langues des mondes nouveaux et anciens se marient. Il s’y ânonne des syllabes du fond des âges.
C’est aussi la nature qui s’émerveille et s’embrase. Songe qui se heurte au tumulte contemporain, pollué par l’appât du gain, et par un patriarcat dompteur de planète, à tel point que même « les nuages ont des pantalons ». Mais le lyrisme du poème réenchante notre quotidien aseptisé. Il fait parvenir à nos oreilles les voix singulières des bêtes qui habitent encore nos cœurs.
Pépiements du moineau (« Tittittit »). Créatures animées et inanimées, envoyez-nous les signes de vos présences solaires ! Pierres volées au sol, voici donc qu’enfin vous vous insurgez ? (« Ohé ohé »).
Symbiose à l’œuvre entre les éléments, poésie incantatoire, hymne au cosmos et à l’amour lesbien érotique (et pourquoi pas à plusieurs), La femme qui mange les mots, est tout cela. Elle distingue formes et matières, segmente et articule. Elle répète, goûte le multiple et les subtils accords des existences offertes. Les variations typographiques marquent les fréquences doucement rebelles, qui se télescopent et se répercutent dans l’écho du songe. « J’HABITE UN SONGE », reprend-elle.
Et nous nous laissons capter par la puissance incantatoire de cette poésie des corps. Nous embarquons quelque peu désœuvrés dans ce bateau des larmes du partage. Nous advenons dans l’infime de ce texte à l’atemporelle ciselure. Comme nous nous frayons un chemin jusqu’aux étoiles. Les mots jubilent comme des fruits mûrs ! Il suffit d’écouter …
Enfin, les dessins filaires de Liliane Giraudon évoquent des fleurs-sœurs aux courbes contenantes. Silhouettes en miroir. Côte à côte.
Elisa Darnal
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