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elisabethdarnal

Dernière mise à jour : 22 déc. 2022

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Aurore Chapon a réalisé avec brio la conception graphique du numéro 1 de Carabosse. Cette talentueuse artiste a plus d’une corde à son arc. Illustratrice-graphiste – elle se dit aussi « tisseuse-bédéaste », et explore une multiplicité de supports et de réseaux de diffusion. Avec la philosophe Jeanne Bugart Goudal, elle relève le défi d’initier le grand public à l’écoféminisme. ReSisters est un roman graphique passionnant qui invite à découvrir ce courant de pensée encore largement méconnu en France.





ReSisters est une communauté en rupture avec le système « capitaliste patriarcal néocolonial » où s’invente un mode de vie inspiré des idéaux écoféministes. Peux-tu nous raconter ta rencontre avec Jeanne Bugart Goudal et comment est né le projet du livre Resisters ?


J’ai rencontré la philosophe Jeanne Bugart Goudal à l’occasion d’une conférence intitulée « Féminisme et écologie : même combat ? », qui s’est déroulée en avril 2019 à l’université Rennes 2, dans le cadre de la « semaine de l’environnement ». J’ai été tout de suite enthousiasmée par la clarté de son propos. Elle parvient à manier des concepts qui pourraient rapidement s’avérer ardus, toujours dans une langue accessible. De même, elle sait varier les angles d’approches afin de mettre en lumière toute la richesse d’une pensée. L’écoféminisme montre l’intrication du féminisme et de l’écologie, l’intérêt qu’il y a à ne pas les aborder séparément mais à les articuler ensemble. Or, s’il existe un corpus étoffé d’écrits universitaires sur le sujet, il m’est apparu qu’il manquait des ouvrages qui puissent toucher un plus large public. En associant textes et images, j’ai pensé qu’il serait possible de transmettre à un lectorat non initié des savoirs théoriques. J'ai donc contacté Jeanne afin d'en discuter, mais pour être honnête, je ne m’attendais pas à ce qu'elle me propose d’emblée une collaboration ! Rapidement, nous avons commencé à nous écrire et à imaginer des formes possibles : vulgarisation BD semi-fictionnelle, mises en images etc. Peu à peu le projet d’une fiction chorale a pris forme, où intervenait une diversité de personnages, de classes sociales, d’origines et même d’espèces. Et nous avons produit les premiers textes et les premiers dessins. À partir de là, il nous a fallu trouver une maison d’édition susceptible d’être intéressée. Il se trouve que la directrice éditoriale des éditions Tana, Suyapa Hammje, lançait justement une nouvelle collection intitulée « Nouveaux récits » et était en recherche de textes de fictions pour parler des luttes croisées écologistes et féministes. De plus, j’avais déjà été amenée à travailler avec elle sur un autre ouvrage paru chez Tana, Après la pluie, auquel Jeanne avait également participé, Suyapa connaissait donc nos travaux respectifs.


« J’imaginais un bouquin qu’on pourrait prêter à nos frères, nos mecs, nos oncles, etc. »


Les personnages ont-ils des fonctions définies ? Si oui, lesquelles ?


En effet ! Ça peut paraître inattendu, mais le premier personnage auquel j’ai pensé est Pierre, qui est un homme blanc, a priori cisgenre et hétérosexuel. J’imaginais un bouquin qu’on pourrait prêter à nos frères, nos mecs, nos oncles, etc., parce qu'on ne va pas se mentir : on sait bien qui lit majoritairement les livres féministes aujourd'hui… Or, je pense que si on veut vraiment que les choses changent, il faudra bien que tout le monde réfléchisse à la question et examine ses privilèges, y compris (et surtout) (mais pas que) les mecs, à plus forte raison blancs et « cishet ». Donc je tenais à ce qu’il y ait au moins un personnage qui puisse servir de support d’identification pour ce profil de lecteur en particulier. Bien sûr, tous les personnages sont des points d’ancrages de l’histoire à destination d’un lectorat divers. En même temps, ils permettent d’aborder l’écoféminisme sous différents angles.


« L’écoféminisme n’est pas dogmatique »


On voulait montrer que l’écoféminisme n’est pas dogmatique. En réalité, si le mouvement revêt une diversité d’actions et de théories, l’écoféminisme n’y voit pas de contradiction. Cette pluralité de pensées et de pratiques va à l’encontre de la pensée unique et est pleinement assumée. C’est l’une des grandes visées de l’écoféminisme que de vouloir surmonter les dualismes (homme ou femme, culture ou nature, humain ou animal, etc.). De la même manière, les problématiques individuelles des personnages dans ReSisters finissent par se rejoindre autour d’une dynamique commune. Faire émerger des points de vue variés, des contradictions apparentes, participe de l’élaboration même du discours écoféministe.


ReSisters. Peux-tu expliquer le choix du titre?


Le mot ReSisters est un jeu de mot entre Résister et Sisters (« sœurs » en anglais). Comme on l'apprend dans le chapitre 8, ce jeu de mot (avec quelques variations au niveau de son orthographe telles que « Re-Sisters » ou « Re/Sisters ») a déjà une longue histoire derrière lui : c’est déjà le nom que se sont donnés des collectifs, des forums militants, et même un groupe de musique ! Le mot « resisters » est également l'équivalent anglais de notre « Résistants » français. Il nous a donc semblé particulièrement approprié pour désigner ce groupe informel, cette communauté de personnes qui soit vivent totalement à la marge dans un éco-lieu, soit qui y participent de façon ponctuelle. De plus, le début du mot en « re » fait appel à toute une réflexion du mouvement écoféministe, qui souhaite un « renversement », une « réinvention », un « recommencement », « refaire » le monde à l'aune des connaissances et hypothèses qu'il apporte, à la croisée des chemins entre enjeux actuels et savoirs ancestraux. Donc, lors de la recherche du titre, il nous est apparu que ce mot court, qui sonne comme un cri de ralliement tout en étant un peu mystérieux à la fois, était finalement la meilleure option.


Le chat Archimède, observateur du monde des humains, est un personnage essentiel. Les remarques de ce félin érudit, qui écoute France Culture, sont des contrepoints humoristiques au récit. De plus, c’est lui qui expose les connaissances philosophiques. Comment avez-vous construit ce personnage ? Pourquoi avoir choisi un animal plutôt qu’un humain pour incarner le savoir ?


D’abord, Archimède instille un peu de fantaisie et de légèreté dans des pages théoriques assez denses. Ensuite, nous ne voulions pas donner raison à un humain plus qu’à un autre. C’est pourquoi c’est à Archimède qu’il incombe de conclure et d’apporter les connaissances. Enfin, nous souhaitions valoriser les alliances inter-espèces.



Comment s’est opéré le choix des couleurs?


Une même gamme chromatique est présente tout au long de l’ouvrage. J’ai le goût des couleurs franches, pigmentées. Mais certaines pages sont totalement désaturées quand d’autres sont en bi- ou trichromie. Il fallait rendre la lecture la plus fluide et agréable possible. Ainsi, je me suis efforcée de créer des ambiances singulières tout en ménageant un équilibre des couleurs sur la totalité de l’ouvrage.


Comment s’est déroulée ta collaboration avec Jeanne Bugart Goudal ? Comment vous êtes-vous réparties le travail ?


Au début, on écrivait chacune des bouts de texte. Mais rapidement nous avons opté pour un partage des tâches plus spécifique, même si la division texte/image partagée entre autrice et illustratrice n'est pas tout à fait aussi nette, puisque nous avons beaucoup travaillé ensemble, à distance, grâce à la magie d'Internet. Néanmoins, il nous a semblé plus simple que ce soit Jeanne qui, grâce à son expertise du sujet et son écriture claire et aiguisée prenne en charge le fil rédactionnel, tandis que l’illustration et la mise en page m’étaient dévolues. Elle utilisait souvent un système de didascalies afin que je puisse visualiser la mise en scène qu’elle avait imaginée, et ensuite c'était à moi de voir ce qu'il était possible de faire. J'apportais d'autres idées, sur lesquelles elle pouvait rebondir à son tour, et ainsi de suite jusqu'à ce que nous soyons satisfaites.

La quantité de texte à traiter m'a donné du fil à retordre au début, donc j'ai vite compris qu'il serait plus simple de placer et mettre en page grossièrement le texte dans un premier temps, puis de créer les dessins en fonction de celui-ci. Je ne me suis pas imposé de cadre ou de contraintes visuelles. Je voulais que l’ensemble reflète l'impression de vie, d'organicité que m'inspire l'écoféminisme : un cadre global sur lequel tout le monde se met d'accord et qui reste nécessaire pour pouvoir faire société. Chacun peut ensuite y exprimer sa singularité, sa façon d'être au monde de façon joyeuse et même un peu bordélique. Cette mise en page ne suit donc pas vraiment d'autre logique que celle de mon intuition et de mes envies graphiques, tout en essayant de la rendre la plus fluide et lisible possible.


Cette dystopie qui se déroule en 2030 entre finalement en résonance avec l’actualité COVID. Dès les premières pages, la crise sanitaire sert à justifier une restriction des libertés. Les mesures gouvernementales sont jugées liberticides. Pourquoi avoir choisi de montrer cette vision ? Votre éditrice a-t-elle porté un œil bienveillant sur cette dénonciation ? S’est-elle montrée frileuse ?


Au début, l’histoire n’était pas en 2030. Ce n’était pas une dystopie. Puis, au sortir du déconfinement en mai 2020, Suyapa nous a suggéré d’étoffer la dimension fictionnelle ainsi que la psychologie des personnages. Le contexte politique qui présidait l'écriture était ahurissant : nous devions par exemple nous faire des autorisations à nous-mêmes pour sortir. Était-il normal qu’il faille bloquer tout le monde tout le temps partout ? Quelle politique était à l'œuvre via ce flicage systématique de la population ? La crise sanitaire justifiait-elle cette succession de mesures coercitives semblant aller dans le sens d’une restriction des libertés fondamentales ? Donc, en effet, la trame narrative de ReSisters fait écho à nos inquiétudes d’alors. Et pourtant c’était bien avant les passes sanitaire et vaccinal, que nous avons évoqués sur la première double-page, et dont nous pensions qu'ils resteraient à l'état d'hypothèse ! Sans être complotistes, il y avait de quoi s'interroger… Quant à notre éditrice, elle nous a immédiatement suivies. Il faut savoir qu’elle a repris ce label pour lui donner une ligne politique et engagée, donc je pense qu'elle n'aurait pas souhaité que notre travail soit consensuel.


Quelles sont, selon toi, les particularités de l’écoféminisme ? Comment ce courant se différencie-t-il du féminisme ?


Le mouvement, qui pâtit de préjugés, rebute de nombreuses féministes qui craignent que l’écoféminisme, en les associant à la nature, n’assigne les femmes à une essence naturelle tangible, Cette essentialisation supposée du mouvement féministe par les écoféministes est alors perçue comme un obstacle à l’émancipation des femmes. Le raisonnement est le suivant : si on associe femme et nature, alors on finit par rejoindre la thèse masculiniste qui soutient que « la Femme » serait plus naturelle que « l’Homme », et par conséquent dédiée à la maternité, etc.

Or, il est nécessaire de lever ce malentendu. L’écoféminisme ne stipule pas que les femmes seraient, par essence, plus naturelles que les hommes, plus promptes à s’intéresser à l’environnement. Il propose de penser conjointement les processus de domination qui se sont exercés sur les femmes et sur la nature. L’écoféminisme permet de mettre à jour la logique de cette domination croisée, son histoire ainsi que son cadre culturel, social, économique. Avant la modernité, la nature était considérée précieuse et même sacrée. Mais cette vision a été progressivement défaite. Elle est devenue une matière inerte exploitable ; ainsi a-t-elle été symboliquement déconsidérée puis détruite au fil des siècles d’une histoire capitaliste et patriarcale. Parallèlement, les femmes se sont vues reléguées à une place subalterne, car on leur attribuait, notamment, une constitution naturellement fragile, un intellect défaillant en comparaison avec leurs acolytes masculins. Les assigner à une « nature » inférieure, aisément fantasque, à domestiquer, fut un moyen de les mettre au pas. La terreur des bûchés, de la fin XVème au XVIIème siècle, finirent de dissuader les rebelles et les marginales. Accusées de pactiser avec le démon de la sorcellerie, car inassimilables au système patriarcal, ces dissidentes furent tout bonnement éliminées. Ainsi, le mythe d’une « femme naturelle », qui aurait le gène de la vaisselle, mais pas celui de la connaissance, a été forgé par le patriarcat, et non par les écoféministes.

C’est donc à une nature dévalorisée que les femmes ont été associées. Et l’écoféminisme mène une réflexion critique à l’égard de cette conception.

A mes yeux, l’écoféminisme permet au féminisme d’aller plus loin, car, en dégageant les mécanismes communs de domination qui sont à l’œuvre, il nous invite à dépasser les rapports de forces ancestraux pour repenser ensemble (les hommes comme les femmes !) nos liens sensibles au vivant, au-delà de nos genres choisis ou assignés.


Le refuge des ReSisters est une sorte d’hétérotopie, telle que Foucault l’a définie, c’est-à-dire un lieu avec une organisation économique et sociale qui diffère du modèle habituel. D’ailleurs, il n’est pas sans rappeler l’exemple autogestionnaire. Était-ce voulu ?


Oui, c’est une sorte de tiers-lieu ou d’éco lieu. Ce sont des lieux d’expérimentation fascinants. L’écoféminisme déconstruit le capitalisme. Ses idéaux politiques s’articulent beaucoup autour de cette image de communautés autogérées et autosuffisantes, avec une capacité d’auto-organisation sans hiérarchie.

Par ailleurs, il me semble que nous sommes conditionné.e.s par ce que nous entendons, lisons, regardons, par toutes les dystopies générées notamment par la pop-culture. De nombreuses séries décrivent des mondes post effondrement avec des fonctionnements socio-économiques nécessairement sombres et violents, telles que The walking dead, The 100, La servante écarlate, pour ne citer qu’elles. Nous sommes abreuvé.e.s de ce genre d’histoires. Serait-il possible d’explorer le futur autrement ? Si on entendait davantage d’histoires de solidarité, de respect, de confiance, et d'autogestion, peut-être pourrions nous collectivement engendrer une société basée sur une meilleure prise en compte d’autrui et du vivant au sens large, qu'iel soit humain.e ou non-humain.e.



Faire communauté. Cette formule te semble-t-elle correspondre à la philosophie du livre ?


Nous voulions un livre en forme de « femmage », faisant appel au travail de toute une communauté de cherchereuses, d'artistes, de philosophes, d'anthropologues, de sociologues originaires de populations minorisées… dans un récit qui parle lui-même de communauté, à la façon d'une mise en abyme. Il s’est agi de raconter une histoire d’une manière abordable et attrayante afin d’expliciter les concepts théorisés depuis les années 70 par toutes ces personnes. Comment aborder la théorie par un chemin fictionnel, sans trop de jargon, mais également sans trahir les concepts écoféministes ? C’était un challenge et j’espère que nous l’avons au moins partiellement réussi.


Propos recueillis et synthétisés par Elisa Darnal pour Carabosse

elisabethdarnal

Blockhaus, Maud Thiria,

encres de Jérôme Vinçon,

Editions Ancrages & co, 2021.


Blockhaus, « bloc d’os ici repliés », la poète se souvient, de ces « sensations premières, animales » au « bord de son [mon] monde ». Ce bloc du pays d’enfance qui fait entendre la peur d’être. La vulnérabilité fait se tapir au cœur de sensations à la fois âpres et rassurantes. Ainsi, elle se met à l’abri du tumulte qui force à se taire, pour exprimer là ce qui palpite sous peau. Un désir étrange/é affleure. C’est que la naissance de la langue singulière de Maud Thiria s’arrime à cette terre lorraine portant les stigmates de la guerre. L’écriture se fraie un chemin jusqu’à ce blockhaus du jardin, lieu tutélaire à partir duquel l’auteure prend contact avec la violence du monde extérieur. Et c’est toute la résonance de ce mot aux sonorités heurtées qui est évoquée. C’est ce « bloc d’os » fiché au plus intime de l’être, qui autorise à dire à la fois la blessure et la rébellion. Contours revêches de ce qui parle en soi et s’extrait pour s’affirmer ! Dans sa cachette, la petite fille brandit les poings, s’émancipe du joug maternel, se façonne un univers bien à elle qui la réconcilie avec sa part d’étrangeté. Il s’agit aussi de se départir des réflexes acquis du langage, de son usage habituel, en revenant sans cesse à la source aride de la naissance des mots, c’est-à-dire à ce « blockhaus » qui la « contient » déjà tout entière au seuil de la vie. Elle apprivoise l’envie comme la peur, se lance à la découverte de la forêt, se laisse envahir par les odeurs, creuse des terriers pour oiseaux morts et s’égratigne les jambes dans les baies de groseilles. Enveloppée de la « pâte » sonore du « mot nourricier », elle ose regarder plus loin, envisager l’horizon qui s’offre :


ça te déchire les chairs et ça te sauve

ça déchire ta langue et ça te sauve


Le corps s’arrache et s’enracine dans un même élan paradoxal. Dans le travail de la langue qui bute, puis confère une structure à l’informe. Vers après vers. Accompagnée des encres denses de Jérômes Vinçon, la poésie de Maud Thiria martèle ce désir fou de dire envers et contre tout. Elle bouleverse ainsi le lecteur et le ravit.


Elisa Darnal



Carabosse

Dernière mise à jour : 11 avr. 2022

Encabanée,

Gabrielle Filteau-Chiba,

Editions Le mot et le reste, 2021.


« J'ai filé en douce » sont les premiers mots de Gabrielle Filteau-Chiba dans ce récit d'une femme qui s'isole volontairement au cœur d'une forêt du Québec, ne supportant plus sa vie urbaine de consommatrice, désirant renouer en sorcière avec la puissance de la terre et de la nature, se prouver sa capacité à vivre de façon autonome et libre dans des conditions spartiates.

Il y a, comme dans une robinsonnade, le récit savoureux des tâches quotidiennes essentielles, fendre le bois pour se chauffer et rompre la glace pour puiser de l'eau, la litanie des corvées dans un froid à rendre folle, l'énergie de la vie concrète et matérielle au bord de la survie. Mais, est-ce parce que c'est une femme qui écrit, le récit va plus loin, se démarque joyeusement de ses illustres prédécesseurs tels Defoe et Thoreau et leur philosophie morale gentiment puritaine, en racontant les choses du corps. Anouk habite une cabane au milieu des bois, vit en animal et raconte son aventure extrême avec espièglerie. Le soir, il faut « rentrer le bois et marquer mon territoire en levant les yeux sur les premières étoiles qui scintillent dans le bleu ciel. Mais peut-être que mon urine de femme en manque attire les prédateurs chez moi et non le contraire. » Elle accorde une grande place au corps, note ses sensations et ses besoins impérieux, et assume ses contradictions en affirmant dans sa réclusion volontaire, sa dépendance à l'Autre. Pas de Robinson sans Vendredi. Elle dit avec la même évidence la douleur de la blessure et le manque sexuel. Sa solitude est moins morale que physique et chaque corvée devient une lutte contre l'obsession de l'homme. Si elle entend le coup de fusil d'un braconnier, sa cabane devient un piège pour l'homme qu'elle rêve « d'attacher pour le dévorer et rassasier (s)a faim de louve ». Projet de vie et projet littéraire se rejoignent dans l'affirmation d'un grand désir physique. Il s'agit de réécrire Le Petit Chaperon rouge. Et si une intrigue écologique tend le récit, c'est au premier plan la question de savoir comment cette femme pourra assouvir son désir qui nous tient attachée à ce style ludique et varié mené dans une langue québécoise étrange et familière où alternent récit quotidien, moments poétiques, listes de questions existentielles, de choses à ne pas oublier, de qualités requises, de gratitudes, de souhaits, comme la « liste n°115

Mes trois souhaits au génie de la lampe :

– Des bûches qui brûlent jusqu'à l'aube ;

– Une robe de nuit en peau d'ours polaire ;

– Robin des bois qui cogne à ma porte. »


Marie-Philippe Joncheray


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